L’Appel du 18 Juin 1940

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L’Appel du 18 Juin 1940 : de la Résistance nationale à l’épopée politique du Général de Gaulle, visage légitime de la « vraie » France*

« Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas », Charles de Gaulle, le 18 juin 1940

Comment un militaire, ancien élève et admirateur de Pétain, a-t-il pu désobéir les règles et se tourner contre son maître ? C’est passé le 18 juin 1940, quand Charles de Gaulle lançât à la BBC de Londres l’Appel à la Résistance, le lendemain de l’appel du maréchal Pétain à cesser le combat contre l’Allemagne nazie. Connu sous le nom de l’Appel de 18 Juin, le texte que Charles de Gaulle a prononcé aux ondes de la BBC représente l’exemple de rhétorique, ayant réuni toutes ses trois dimensions – le logos, l’ethos et le pathos. Jacques Vico, un des gens qui ont écouté l’appel à la radio en direct en témoigne :

« Dans la soirée du 18 juin 1940 nous avons pu capter la B.B.C. et entendre l’Appel de ce Général de Gaulle, que nous ne connaissions pas. Le timbre de la voix de cet homme nous impressionne. Son ton ferme et déterminé, son autorité, et le contenu de son message nous réconfortent. Son appel nous apporte des certitudes, la guerre continue, la guerre deviendra mondiale, la flamme de la Résistance ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas. Ce message nous remplit d’espérance »[1].

A travers ses discours, Charles de Gaulle fit preuve de l’appropriation de l’art rhétorique, tout en comprenant l’importance de son instrumentalisation dans une période où la radio et l’apparition de la télévision intervenaient activement dans le politique. Ce fut en 1940 que le Général en fit usage pour la première fois dans son Appel à la Résistance, resté dans la mémoire historique aussi grâce à sa dimension dramatique. De Gaulle lui-même en témoignait dans ses Mémoires :

« La première chose à faire était de hisser les couleurs. La radio s’offrait pour cela. Dès l’après-midi du 17 juin, j’exposai mes intentions à M. Winston Churchill. Naufragé de la désolation sur les rivages de l’Angleterre qu’aurais-je pu faire sans son concours ? Il me le donna tout de suite et mit, pour commencer, la B.B.C. à ma disposition. Nous convînmes que je l’utiliserais lorsque le gouvernement Pétain aurait demandé l’armistice. Or, dans la soirée même, on apprit qu’il l’avait fait. Le lendemain, à 18 heures, je lus au micro le texte que l’on connaît »[2].

En outre, le Général de Gaulle avait très bien compris qu’à cette époque-là, l’apparition télévisée était le plus fort moyen de persuader, voire de manipuler l’opinion publique. De Gaulle, lui-même, a avoué, toujours dans ses Mémoires, que la télévision eut un rôle accru dans l’accomplissement de ses actions :

« Au total, il se produit autour de moi, d’un bout à l’autre du territoire, une éclatante démonstration du sentiment national qui émeut vivement les assistants, frappe fortement les observateurs et apparaît ensuite partout grâce à la télévision »[3].

En nom d’une « certaine idée de la France », Charles de Gaulle, le soldat solitaire, « le traitre » refusa d’accepter l’armistice et prétendit incarner la France libre, résistante et combattante. Il réussit à rassembler des gens autour de son refus, des Français qui l’ont rejoint à Londres ou d’autres qui, malgré l’occupation allemande, ont constitué la Résistance sur le sol français. Jean Lacouture, le premier biographe du Général[4] décrit l’image de ce qui était devenu Charles de Gaulle :

« En face de son grand bureau, au bord de la Tamise, Charles de Gaulle, ex-sous-secrétaire d’État, ex-général à titre temporaire, dégradé, dénationalisé, condamné à mort, flanqué d’un vieux juriste, de trois colonels, d’une douzaine de capitaines, d’une secrétaire malhabile, de quelques journalistes, de trois bataillons de légionnaires et de la confiance d’un Premier ministre au génie phosphorescent mais aux humeurs changeantes, prétend incarner ce pays qui ne connaît de lui qu’une voix nocturne aux intonations étranges et aux élans en apparence incontrôlés. Pas une chance… »[5].

Cette image d’un de Gaulle prétendant « incarner » le pays, malgré toutes les infortunes[6] qui ne lui donnaient « pas une chance », reprend la même idée que le Général lui-même avait consignée dans ses Mémoires :

« Parmi les Français, comme dans les autres nations, l’immense concours de la peur, de l’intérêt, du désespoir, provoquait autour de la France un universel abandon… Nul homme au monde qui fut qualifié n’agissait comme s’il croyait à son indépendance, à sa fierté ; à sa grandeur… Devant le vide effrayant du renoncement général, ma mission m’apparut d’un seul coup, claire et terrible. En ce moment, le pire de son histoire, c’était à moi d’assumer la France »[7].

La décision gaullienne « d’assumer la France » dans « le pire » moment de son histoire, pour la mener vers la victoire et regagner la grandeur qu’elle avait perdue au temps du gouvernement de Vichy, s’inscrivait dans la continuité de l’Histoire et Charles de Gaulle en était conscient : le mouvement national qui s’était produit grâce à son Appel est récurrent dans l’histoire de la France, qui semble être dans une évolution cyclique, où la faiblesse de l’Etat fait remonter la vieille passion querelleuse entraînant le désastre qui, à son tour,  fait surgir le chef, capable de refaire l’autorité de l’État, de rassembler les querelleurs et faire rebondir la nation vers le sommet[8]. Le passage d’une conférence gaullienne sur la défaite de Sedan en 1870, datant de 1921 en confirme :

« II eût fallu que la France fût emportée par cet irrésistible mouvement national qui l’avait sauvée déjà tant de fois dans son histoire ; que tous les Français aient su oublier pour un temps leurs divisions et leurs passions et réunir en un faisceau toutes les énergies de la patrie. Mouvement national qui a porté à la victoire Philippe Auguste à Bouvines, Jeanne d’Arc à Orléans, Louis XIV et Villars à Denain, la France révolutionnaire de 1792 à 1795, Joffre sur la Marne, Clemenceau et Foch en 1918 »[9].

En même temps, comme Charles de Gaulle l’a lancé le 18 juin 1940, la France n’était pas seule, elle disposait d’un vaste empire derrière elle. Plusieurs colonies se rallièrent à la cause du chef de la France libre, comme le Cameroun, l’Afrique équatoriale, la Syrie, le Liban, le Madagascar ou le Djibouti[10]. Outre l’appui français, Charles de Gaulle jouissait avant tout de la confiance du premier ministre britannique, Winston Churchill, le seul dirigeant étranger occidental qui reconnut la France libre incarnée par le Général de Gaulle en tant qu’allié dans la poursuite du combat contre l’Allemagne nazie.

Sujet d’une pléiade d’études et d’analyses, le moment 18 juin 1940 est devenu un mythe national per se. Sans en nier l’importance en tant que moment fondateur de la Résistance française pendant la Deuxième guerre mondiale, nous jugeons nécessaire de rappeler les suivants : tout d’abord, l’Appel que Charles de Gaulle a prononcé à la BBC le 18 juin 1940 ne fut pas enregistré. Ce fut le discours soutenu le 22 juin 1940 qui a été enregistré et que nous retrouvons souvent dans des documentaires ou sur le site de l’Institut National de l’Audiovisuel. De plus, l’Appel du 18 juin comporte plusieurs versions : il y a le texte écrit par Charles de Gaulle, le discours (révisé par les autorités anglaises) prononcé à la radio et une version amplement diffusée à travers des affiches titrant « A tous les Français ». De ce fait, lorsque nous parlons de la mémoire de l’Appel du 18 Juin, il s’agit plutôt de l’affiche, de l’image du Général de Gaulle devant le micro – photo célèbre qui, malgré le mythe, ne fut pas prise lors de la journée fatidique du 18 juin -, ou bien l’enregistrement de l’appel du 22 juin.

Malgré la mythologie, l’Appel prononcé à la radio londonienne ne s’adressait pas à « tous les Français », mais aux officiers et à ceux qui étaient capables de poursuivre le combat aux côtés des Alliés anglais[11], tout comme il l’a dit le 18 juin :

« Moi, Général de Gaulle, actuellement à Londres, j’invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j’invite les ingénieurs et les ouvriers spécialistes des industries d’armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, à se mettre en rapport avec moi »[12].

Néanmoins, deux autres textes gaulliens datant de la même période – deux autoportraits exposés – viennent à nous dévoiler le sens profond que le Général de Gaulle a donné à son action résistante. D’abord, lors d’un entretien avec un journaliste anglais :

« Je suis un Français libre. Je crois en Dieu et en l’avenir de ma Patrie. Je ne suis l’homme de personne. J’ai une mission et je n’en ai qu’une seule : celle de poursuivre la lutte pour la libération de mon pays. Je déclare solennellement que je ne suis attaché à aucun parti politique, ni lié à aucun politicien quel qu’il soit, ni de la droite, ni du centre, ni de la gauche. Je n’ai qu’un seul but : Délivrer la France »[13].

et dans un télégramme envoyé à un émissaire à Tanger :

« D’une façon générale, le portrait que vous devez tracer de moi est celui d’un soldat servant son pays avec des forces qui ne dépendent d’aucune puissance étrangère. Vous pouvez insister sur mes idées et mes efforts des dix dernières années quant à une guerre mécanique et aux succès que j’ai eu la chance de remporter à Laon et à Abbeville avec une division blindée placée sur mes ordres (…). Insistez sur le fait que je ne suis solidaire d’aucun parti politique et que mon mouvement est fondé sur le service de la France réalisé avec des forces ne disposant d’aucun appui politique »[14].

S’il s’est défendu de toute appartenance ou visée politique, ayant mis en avance sa carrière militaire et sa seule mission de poursuivre le combat pour la libération de son pays, par son refus face à la décision du gouvernement du maréchal Pétain, qui incarnait alors le pouvoir légitime, et à travers son appel à une résistance française commune, Charles de Gaulle dépassa le cadre purement militaire : l’Appel du 18 Juin marque ainsi son début en politique[15]. Ce fut le Général de Gaulle lui-même qui en avouait dans ses Mémoires de guerre :

« A mesure que s’envolaient les mots irrévocables, je sentais en moi-même se terminer une vie, celle que j’avais menée dans le cadre d’une France solide et d’une indivisible armée. À 49 ans, j’entrais dans l’aventure comme un homme que le destin jetait hors de toutes les séries. Pourtant, tout en faisant mes premiers pas dans cette carrière sans précédent, j’avais le devoir de vérifier qu’aucune autorité plus qualifiée que la mienne ne voudrait s’offrir à remettre la France et l’empire dans la lutte »[16].

Ces notes nous illustrent deux grands aspects : d’un côté, l’Appel marqua la sortie de Charles de Gaulle des structures étatiques de la France de Vichy – la fin de la vie qu’il a menée dans le cadre d’une indivisible armée – et de l’autre côté, le moment de l’appel marqua le début d’une « carrière sans précédent », qui représentait, à ses yeux, une « aventure ». De plus, le fait que Charles de Gaulle se préoccupait de la possible existence d’une autre autorité capable d’incarner la légitimité et de remettre la France en guerre nous révèle son ambition d’accaparer la légitimité absolue pour représenter la France libre et rassembler ensuite la nation autour de son autorité historique – fin tout à fait politique. Enfin, le ralliement immédiat des mouvements de résistance intérieure sous le commandement du Général de Gaulle, l’adhésion massive des Français à l’appel de celui qui devint le visage de la « vraie » France, tout comme l’exaltation ultérieure de la mémoire du gaullisme héroïque à la lumière d’une mystification du moment 18 juin 1940, font de l’Appel un symbole de l’identité et de l’unité nationale dans un des moments les plus sombres de l’histoire de France.

* extrait de Andrada Cretanu, « Le gaullisme: un patrimoine culturel immatériel. La patrimonialisation du politique dans le discours français », tome 1 et 2, thèse de doctorat soutenue à l’Université de Bordeaux, 2021


[1] Jacques Vico, Conférence le 17 juin 2006 au Mémorial de Caen, disponible [en ligne] sur

https://sites.google.com/site/jacquesvicotextes/2-l-impact-de-l-appel-du-18-juin-1940-et-les-consequences-de-cet-appel, consulté le 15 mai 2017 ;

[2] Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, t1 – l’Appel, Plon, 1954, p. 89 ;

[3] Charles de Gaulle, op.cit. Idem ;

[4] Jean Lacouture, De Gaulle, 3 volumes : Le rebelle, Le politique et Le souverain, publiés en 1984-1986, Editions du Seuil, Paris – monumentale biographie selon les commentaires des auteurs français : « Après huit cents livres sur de Gaulle, voici le premier » écrivait Pierre Nora, à la sortie voici plus de vingt ans de l’exceptionnelle biographie de Jean Lacouture ; « Une somme à ce jour inégalée. » (Alain Peyrefitte, Le Figaro) ; « Lacouture aura conquis ses galons de meilleur biographe français. » (Fred Kupferman, L’Express) ; « Magistral ! » (Henri Guillemin, Le Monde) ou « Un monument de la biographie. » (Yves Florenne, Le Monde diplomatique) ;

[5] Jean Lacouture, De Gaulle, Le rebelle 1890-1944, Seuil, 1984, p. 397 ;

[6] Comme la malheureuse affaire de Mers-el-Kébir, l’échec devant Dakar, les colères de Churchill, l’hostilité non voilée de Roosevelt, le débarquement en Afrique du Nord, l’unification de la résistance, cf. p. 76 ;

[7] Charles de Gaulle, op.cit. ;

[8] Maurice Agulhon, « De Gaulle et l’histoire de France », Ibidem, pp. 3-12 ;

[9] Charles de Gaulle, Lettres, notes et carnets, 1919-1940, op. cit., p 172 ;

[10] Corinne Maier, De Gaulle et le gaullisme. Une mythologie d’aujourd’hui, Editions Milan, Paris, 2003, p. 10 ;

[11] Gaetano Quagliariello, La religion gaulliste, Ibidem, p. 24 ;

[12] L’Appel du 18 juin 1940, manuscrit disponible sur

https://www.charles-de-gaulle.org/lhomme/dossiers-thematiques/refus-de-larmistice-lappel-18-juin/manuscrit-de-lappel-18-juin/  ;

[13] Charles de Gaulle, Lettres, notes et carnets, tome 3 : 1940-1941, Plon, 1981, p. 76 ;

[14] Charles de Gaulle, Télégramme à François, à Tanger, Londres, LNC, 17 août 1940, cité par Henri Guaino, De Gaulle au présent, Edition Le cherche midi, 2015, p. 87 ;

[15] Jacques, Galtier, « Autour d’un incertain 18 juin », Autres Temps. Les cahiers du christianisme social, N°27, 1990. pp. 65-79, p. 76 ;

[16] Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, op.cit. ;

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